#889 – Qarabağ FK : Qaçqın Klub

Les club des réfugiés. Si le club évolue à Bakou, il représente avant tout la région montagneuse du Haut-Karabagh, située à près de 350 km de la capitale azéri. Se plonger dans l’histoire du club s’est mettre le doigt sur un conflit non résolu, qui empoisonne la vie des azéris et des arméniens. Le club est fondé en 1951 dans la ville d’Aghdam dans le Haut-Karabagh. Puis, après l’effondrement du régime soviétique, il émigra, comme ses supporteurs vers Bakou. Il est donc le représentant des réfugiés de la ville et de cette région. Mais que s’est-il passé à l’époque ?

Quasiment depuis le fin fonds de l’histoire, la région fut déchirée entre les arméniens chrétiens d’un côté et des peuples arabes ou perses musulmans de l’autre. N’allons pas aussi loin et démarrons l’histoire au XXème siècle. Sous domination de l’Empire russe au début de ce siècle, la république démocratique d’Arménie et la république démocratique d’Azerbaïdjan, qui se déclarèrent indépendantes le même jour, le 28 mai 1918, profitèrent de l’instabilité liée à la révolution communiste pour s’opposer sur le Haut-Karabagh. Forcément, la guerre éclata. Mais, les deux perdirent puisque l’URSS mit fin au conflit en réintégrant l’Arménie et l’Azerbaïdjan en son sein en 1920. Peuplait alors à 95% par des arméniens, Staline décida en 1921 de rattacher le Haut-Karabagh à la république socialiste soviétique d’Azerbaïdjan. Deux ans plus tard, le Haut-Karabagh devint un oblast autonome, enclavée au sein de l’Azerbaïdjan, donc en réalité dépendante de ce dernier. Sous le joug de Moscou, qui contrôlait ses républiques unifiées d’une main de fer, les velléités nationalistes des deux parties se réveillèrent seulement au moment de la pérestroïka (1988). Avec l’effondrement de l’URSS en 1991 et la nouvelle indépendance de l’Azerbaïdjan et l’Arménie, le confit militaire non-résolu du début du siècle refit surface. Les habitants du Haut-Karabagh déclarèrent leur indépendance avec la volonté de faire sécession de l’Azerbaïdjan et s’unir avec l’Arménie. L’Azerbaïdjan imposa un blocus au Haut-Karabagh, qui reçut le soutien de l’Arménie. Après 3 ans de conflit, il fallut tout le poids de la France, des Etats-Unis et de la Russie pour imposer un cessez-le-feu sans pour autant trouver une solution durable. La première guerre du Haut-Karabagh était donc officiellement terminée mais entraina le déplacement de milliers de personnes. En particulier à Agdam, ville du club de Qarabağ, qui était située près de la ligne de front. Composée de près de 30 000 habitants, la cité se vida littéralement à l’issue de ce conflit de ces citoyens azéris. Territoire non reconnu par l’ONU et non soumis à l’Arménie ou à l’Azerbaïdjan, le Haut-Karabagh survit ainsi pendant quasiment une trentaine d’année. En septembre 2020, soutenu par la Turquie, l’Azerbaïdjan attaqua le Haut-Karabagh. L’Arménie répliqua en déclarant la guerre. Un accord de cessez-le-feu fut signé le 10 novembre 2020. La ville d’Agdam retomba sous l’emprise azérie, poussant ses habitants arméniens à partir. Les réfugiés azéris à Bakou comme leur club de Qarabağ ne retournèrent pas à Agdam, cette dernière devenant une ville fantôme.

L’histoire du club s’inscrivit totalement dans l’Histoire mouvementée et sanglante de la région. Pendant le conflit 1991-1994, selon la légende, les joueurs auraient voulu prendre les armes. Mais, l’armée refusa en répondant qu’il était plus difficile de recruter onze footballeurs que onze soldats. Néanmoins, le joueur, puis entraîneur Allahverdi Bagirov troqua son survêtement pour le trellis. Il mourut le 12 juin 1992 dans l’explosion de sa voiture sur une mine antichar, devenant alors un héros national. En 1993, alors que les troupes arméniennes prenaient la ville d’Agdam et pilonnèrent le stade, Qarabağ devenait champion d’Azerbaïdjan. Au début des années 2000, le club était au bord de la faillite. L’autocrate azéri, Ilham Aliyev, vint au secours du club, en favorisant sa reprise par le richissime conglomérat Azersun. L’objectif du pouvoir était de faire du club l’étendard des revendications des azéris sur le Haut-Karabagh et une cause nationale. Pendant longtemps, des cars viendront chercher les supporteurs dans les camps de réfugiés pour les emmener à Bakou voir les matchs. Aujourd’hui, les ultras du groupe Imarat revendiquent le slogan « Aujourd’hui ultras, demain soldats », affirmant ainsi leur volonté de prendre à tout moment les armes pour reprendre « leur » terreLe club a dépassé le statut d’association sportive pour être le symbole des 600 000 natifs du Haut-Karabagh réfugiés à Bakou et en Azerbaïdjan. Ses parcours dans les compétitions européennes sont un moyen de mettre sous la lumière des projecteurs l’histoire de cette partie du monde et leur cause.

Pour en connaître plus sur le conflit et de manière générale sur la géopolitique dans le football, rendez-vous sur FC Géopolitics.

#888 – HNK Segesta Sisak : Stara Dama

La vieille dame. Comme dans la plupart des pays du monde, le football (nogomet en croate) fut introduit par les immigrés anglais qui travaillaient dans les usines locales. Le premier match de football se déroula à Rijeka en 1873, à l’initiative du britannique Robert Whitehead, ingénieur et propriétaire de l’usine Torpedo. Le match opposa une équipe composée d’employés des chemins de fer hongrois à celle regroupant des marins et ouvriers anglais. Des habitants prirent également part à ce match. En 1890, le football devint obligatoire à Rijeka dans toutes les écoles de la ville, donnant l’impulsion à la création des premiers clubs scolaires dédiés au football. Puis, le football se diffusa dans tout le pays grâce à l’écrivain Franja Bučar à partir 1893. Ce dernier, considéré comme le père du sport et de l’olympisme croate, facilita la découverte et l’apprentissage de nombreux sports tels que la gymnastique, le patinage, le ski alpin, le hockey sur glace et l’escrime en écrivant des manuels. Ce fut également le cas pour le football. La première édition des « Règle du jeu » en croate apparut en 1896 à Zagreb.

Au départ, le football se jouait donc au sein des écoles qui furent rapidement relayés par l’organisation politique panslave Sokol, qui voyait dans l’éducation sportive une voie de raviver et fédérer les identités slaves et de diffuser ses idées indépendantistes. Mais, à la fin du XIXème siècle, face à l’engouement provoqué par ce nouveau sport, les premières structures extra-académiques commencèrent à se créer. Les premiers clubs de football furent ainsi fondés dans le port militaire de Pula vers 1899. Les clubs omnisports de Club Iris et Veloce Club furent les premiers à développer une section football. A Zagreb, en 1903, un section football apparut au sein du HAŠK (Club Sportif Académique Croate). Puis, la même année, le premier club dédié au football fut fondé à Zagreb sous le nom de PNIŠK. A Rijeka, les clubs du CS Olimpia en 1904, Fiumei Atletikai Club en 1905 et Giovine Fiumea en 1906 furent créés. En 1905, Split admirait déjà les joueurs du club dénommé Šator. Karlovac accueillit le club d’Olimpija Karlovac en 1908. En 1910, la section football du club de gymnastique Forza e Coraggio fut fondée à Dubrovnik et, à Zagreb, la Società Ginnastica e Scherma vit le jour. Enfin, en 1911, les deux plus grands clubs croates actuels furent créés : Hajduk à Split et le prédécesseur du Dinamo, HŠK Građanski, à Zagreb.

Dans ce contexte, le football se popularisa dans la ville Sisak via l’écrivain Ferdo Hefele et le professeur de gymnastique Stjepan Sebastijan, qui était un disciple de Franjo Bučar. En 1908, la cité vit apparaître un club du nom de Victoria en 1908. La naissance de Segesta se déroula dans les mêmes années mais elle est plus trouble. Il est souvent présenté que fin juin ou début juillet 1906, un étudiant de treize ans, dénommé Ivo Stipčić, qui possédait un ballon de football, avec une vingtaine de ses amis se réunirent dans l’auberge de sa tante pour fonder un club de football. Le nom choisi était « Segesta », d’après le nom de l’ancienne colonie céltico-illyrienne dans la région de Sisak nommée Ségestique. Mais, il n’existe pas de documents ou de preuves sur la fondation du club, et cette histoire se base sur des vieux témoignages oraux des fondateurs. Une autre date de fondation peut être avancée : 1907. En effet, le journal « Hrvatske novine » dans son édition du 21 mai 1927 relatait que le club allait fêtait son 20ème anniversaire du 26 au 29 juin 1927. Enfin, les premiers rapports de match conservés remontent à 1909 (le premier serait daté du 8 août 1909 et porterait sur un match joué contre le Concordia Zagreb) , attestant au moins qu’à cette date le club existait. Quoi qu’il en soit, la plupart des clubs cités dans le paragraphe ci-avant ont disparu, ne résistant pas notamment à l’avènement du communisme en Yougoslavie. Or, Segesta existe toujours et apparaît aujourd’hui comme l’un des plus vieux clubs de football en Croatie. Comme souvent dans ce cas là, le doyen est appelé la vieille dame.

#887 – Knattspyrnufélag ÍA : Skagamenn

Les péninsulaires. En Islande, si les 3 clubs de Reykjavik, KR, Valur et Fram, dominent le football local (ayant respectivement remporté 27, 22 et 18 championnats), il faut également compter sur un club de province (à 50 km de la capitale) qui a gagné 18 championnats : Knattspyrnufélag Íþróttabandalag Akraness, régulièrement simplifié en ÍA. La performance est remarquable dans la mesure où la ville d’Akraness ne compte que 7 habitants. En outre, contrairement aux clubs de Reykjavik, qui sont plus que centenaires et donc fréquentent l’élite depuis de nombreuses années, ÍA débuta son existence en 1946 et, 5 ans plus tard, il remportait déjà son premier titre.

Mais, revenons à cette ville d’Akranes. Elle était initialement connue sous le nom de Skipaskagi, qui signifie la péninsule du bateau. En effet, fort de ces 7 000 habitants, la cité est située à l’extrémité d’une petite péninsule en face de Reykjavík. Cette péninsule est entourée par deux fjords, Hvalfjörður au Sud et Leirárvogur au Nord. Une grande partie est occupée par la montagne Akrafjall. Son isolement s’est grandement réduit en 1998 avec l’ouverture de Hvalfjarðargöng, un tunnel sous-marin situé sous le Hvalfjörður d’une longueur de 5 770 mètres. Colonisée au IXème siècle par des irlandais, la ville se développa au XIXème siècle avec les activités de pêche, notamment à la baleine. Il est désormais le plus grand port de pêche d’Islande.

#886 – AS Nancy Lorraine : les Chardons

Si on regarde le blason du club et que l’on connait les armoiries de la ville de Nancy, ce surnom est tout sauf une surprise. Le chardon lorrain (ou Onopordum acanthium ou Onopordon à feuilles d’acanthe ou chardon aux ânes) est une plante épineuse surmontée d’une fleur violette. Même si elle est répandue en Lorraine, elle n’était pas endémique à cette région initialement. Il fut importé au XVème siècle par René Ier d’Anjou, pair de France, aux nombreux titres dont ceux de Duc d’Anjou, Roi de Naples et Duc consort de Lorraine (1431-1453). Son petit-fils, René II, prit sa succession de Duc de Lorraine en 1473. A cette époque, le Duché se trouvait en friction avec son ambitieux et puissant voisin du Duché de Bourgogne. Charles le Téméraire, le Duc de Bourgogne, voulait mettre la main sur la Lorraine qui séparait ses possessions au Nord (Luxembourg, Flandres, Brabant …) et au Sud (Bourgogne). En 1475, Charles le Téméraire conquit la Lorraine, René II se réfugiant à Joinville en Champagne. Mais, les déboires de Charles sur un autre théâtre d’opération (face aux Confédérés Suisses) réveillèrent les lorrains qui se révoltèrent. Le 7 octobre 1476, René II, après un siège d’un mois et demi, reprit possession de Nancy, qui devait être la nouvelle capitale des bourguignons de Charles. Puis, René II repartit à la chasse de Charles. Mais, dès le 22 octobre, Charles le Téméraire débuta le siège de Nancy. Le 5 janvier 1477, après avoir reconstitué ses troupes, René II battit Charles le Téméraire près de Nancy, ce dernier étant tué au combat. Cette bataille sonna le glas du Duché de Bourgogne et réaffirma le pouvoir ducal de Lorraine. Pour se rappeler de cette victoire, René II imposa un certain nombre de symbole : instauration d’une fête nationale de la Lorraine (le 5 janvier) et édification sur le lieu de la bataille de l’église Notre-Dame-de-Bonsecours. En outre, René II donna le chardon aux armes de la ville de Nancy (la plante trône désormais sur les armoiries), accompagné de la devise « Non inultus premor » ou « Ne toquès mi, je poins » . Les traductions peuvent changer mais l’idée générale est « Qui s’y frotte, s’y pique ». Cette expression fait ainsi tout autant référence aux épines du chardon qu’aux épées des seigneurs lorrains. Il symbolise la fierté des Lorrains.

Dans la culture nancéenne, le chardon est particulièrement présent. Par exemple, il existe depuis le XIXème siècle une gourmandise ayant une forme de boule épineuse mélangeant le chocolat blanc à de l’alcool (liqueur, l’eau de vie ou Schnaps). Tout d’abord produit par des confiseurs de Nancy, le savoir-faire se propagea dans toute région pour devenir une spécialité typiquement lorraine. Dans la chanson « l’hymne lorrain » composée en 1932 par Félix Chevrier et Georges Lauweryns, le refrain se termine par « Son blason dit aux importuns/Voyez-vous, qui s’y frotte s’y pique/Aux chardons de Verdun » . Il sert également d’emblème au Parc Naturel Régional de Lorraine. En 1967, lorsque un groupe de passionnés, emmené par Claude Cuny, relança le football professionnel à Nancy, les fondateurs comprirent qu’il fallait s’appuyer sur les symboles de la ville. Ainsi, le logo de l’AS Nancy Lorraine reprit le chardon comme image centrale. Et depuis 1967, le chardon ne quitta jamais le blason.

#885 – Shandong Taishan FC : 泰山队

L’équipe du Mont Tai. Basé dans la ville de Jinan dans la province du Shandong, le club s’est établi comme une place importante du football chinois, avec ses 4 titres de champion dont celui remporté lors de la saison 2021. Le club actuel trouve sa source dans une association semi-professionnelle, créée le 10 avril 1956 par le gouvernement local de la province du Shandong, avec pour objectif de représenter la province dans la nouvelle ligue de football chinoise. En 1993, la professionnalisation du football chinois entraina la fondation du club, soutenu par la municipalité de Jinan, avec toujours la province comme zone de « chalandise ». Représentant de la province, il en prit l’un des symboles, le Mont Tai. D’ailleurs, le terme Taishan est dérivé du Mont Tai. Ce dernier est situé dans l’ouest du Shandong, juste au nord de la ville de Tai’an et au sud de Jinan. Son point culminant est le pic de l’Empereur de Jade, qui s’élève à 1 532,7 mètres.

Ce mont tient une place particulière dans la culture de la région mais également dans toute la Chine. Signifiant montagne tranquille, il est d’une importance cultuelle clé aussi bien pour la religion traditionnelle chinoise (en étant l’une des cinq montagnes sacrées de Chine et même la première d’entres-elles), que pour la Taoïsme et le Bouddhisme. Il est associé au levée du soleil, à la naissance et au renouveau. 5 Dieux de la mythologie chinoise lui sont associés dont la grande divinité du Mont Tai, qui est une « réincarnation » de Pangu, l’un des principaux êtres, responsable de la séparation du ciel et de la terre. Lieu de culte depuis au moins 3 000 ans, il accueille de nombreux temples et a été l’un des centres cérémoniels les plus importants de Chine. Il fut un lieu de pèlerinage pour les empereurs chinois au moins depuis l’an 1 000 avant J.-C.. Les empereurs installaient sur le mont des autels pour offrir des sacrifices afin de prier pour la paix ou rendre hommage au ciel et à la terre (cérémonies de Fengchan). Le mont, ses paysages et sa charge religieuse sont également des sources d’inspiration pour les écrivains et les poètes. Confucius et Du Fu le visitèrent et écrivirent des poèmes. Un célèbre dicton de Confucius dit « 登泰山而小天下 » (Escaladez le mont Tai et rendez le monde petit). Depuis 1987, le Mont Tai est classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Il est l’un des premiers sites touristiques en Chine, avec, en 2003, environ 6 millions de visiteurs.

#884 – Deportivo La Corogne : los Turcos

Les turcs. Apparu dans les années 1980, ce surnom était réservé au départ aux fans de l’équipe de football de la ville, le Deportivo, mais il s’est répandu de plus en plus en dehors des terrains de sport. Au milieu des années 1980, la rivalité entre les deux clubs galiciens du Deportivo et du Celta Vigo s’intensifia. En 1987, le Deportivo perdit le derby 2 buts à 0 dans le stade de Vigo. Les fans du Celta insultèrent ceux du Deportivo en les traitant de turcos. Ce qui devait être désobligeant finit par être une source de fierté pour les fans du Deportivo. Ainsi, dans les années 1990, les drapeaux rouges au croissant fleurirent dans les travées du Stade de Riazor. Qu’est-ce que la Turquie a à voir avec La Corogne ? Une question que beaucoup se posent mais dont la réponse n’est pas unique. En effet, de nombreuses histoires circulent mais nous allons essayer de résumer les plus répandues.

Il y a d’abord la version du bus. Le Deportivo se déplaçait à Vigo avec un bus de la société dénommée TourCoruña. Mais, avec le temps, le uña s’effaça et il ne restait plus comme inscription TourCo qui fut simplifiait en turco.

Evidemment, certains cherchèrent un parallèle historique. Au XVIIème siècle, des pirates, venant majoritairement de Turquie, harcelèrent les côtes et en particulier les villes de Vigo et Cangas. Les fans de Vigo, voulant traiter ceux du Deportivo de barbares, firent le parallèle avec ces pirates turcs. Mais, comme on disait « fort comme un turc », l’image plut aux citoyens de La Corogne. Il existe d’autres versions liées à l’histoire. A une époque, la marine turque aurait atteint les côtes espagnoles et reçu l’aide des habitants de La Corogne. Les gens de Vigo n’aurait jamais oublié cette trahison. Une autre histoire indique une autre infidélité. Lorsque le pape appela les chrétiens à la croisade en terre sainte, le peuple de la Corogne ne se serait pas levé pour aller combattre les turcs. Dans les deux cas, La Corogne s’était vendue à la Turquie.

La thèse « géopolitique » est défendue par d’autres. La Galice, comme la Catalogne et le Pays-Basque, est une terre à l’identité forte et dont la culture celte s’éloigne des symboles de l’Espagne. Les gens de Vigo sont particulièrement fiers de cette différence. En revanche, ils estiment que les habitants de La Corogne se sont éloignés de leur racine et veulent s’assimiler à des espagnols. Le parallèle est alors fait avec les turcs, dont le territoire est principalement situé sur le continent asiatique, mais qui souhaitent être vus comme des européens.

Dans la même veine, la musique fut une autre source. Ce surnom serait relié au groupe Os Resentidos qui, en 1988, sortit un titre particulièrement apprécié à Vigo. La chanson s’intitulait « Por alí, por alá » et, dans l’un de ses couplets, le chanteur déclarait « Non son galegos, son árabes, non son galegos, son turcos » (Ce ne sont pas des galiciens, ce sont des arabes. Ce ne sont pas des galiciens, ce sont des turcs). Comme les habitants de La Corogne avaient cette réputation de ne se sentir particulièrement galiciens, ils furent assimiler à des turcs.

La catastrophe écologique qui eut lieue en 1992 fut également une source de ce surnom pour certains. En décembre 1992, le navire grec “Aegeam Sea” (Mer Égée) était venu appareillé dans le port de La Corogne pour livrer plus de 79 000 tonnes de pétrole brut léger à la raffinerie. Mais, des conditions météorologiques défavorables firent échouer le pétrolier lors de son approche, déversant alors 67 000 litres dans la mer. Pour le surnom, c’est le nom du bateau qui est important. En effet, s’appelant Mer Egée, il fait référence à la mer dans laquelle mouille une grande partie des côtes turques. Ainsi, les gens Vigo aurait dit qu’on pouvait voir la Mer Egée depuis La Corogne tout comme en Turquie. L’histoire semble anachronique puisque si on admet que le surnom survint en 1987, la catastrophe est postérieure.

Mais, il existe encore plein de versions différentes. Les villes de Vigo et La Corogne sont situées en Galice mais à deux extrémités de la région. Ainsi, La Corogne est à 160 km de Vigo, ce qui parait à l’autre bout du monde lorsque vous êtes dans cette dernière cité. La Corogne serait apparue aussi éloignée de Vigo que la Turquie. Autre possibilité : les plaques d’immatriculation des voitures enregistrées à La Corogne intègrent un « C » suivi d’un point au niveau du milieu du C. Or, cette configuration aurait fait penser au croissant et à l’étoile figurant sur le drapeau turc. La sémantique n’est pas en reste. En effet, une expression familière dar un baño (donner un bain) signifiait « affliger une défaite humiliante à l’adversaire ». Dans la région, le bain était même un bain turc. Or, il y a plus de 50 ans, lorsque le Celta se déplaçait sur le terrain du Deportivo, il s’inclinait et les supporteurs de La Corogne n’hésitaient pas à dire qu’ils avaient donné un bain turc à Vigo. Enfin, lors du match face au Panathinaikos en Ligue des champions, les supporters du Deportivo firent un grand tifo (de plus de 20 mètres) représentant un drapeau turc pour titiller les Grecs. En effet, les Grecs et les Turcs ne s’apprécient pas (et c’est un euphémisme).

Bref, quelque soit la véritable histoire, la multitude des légendes permet d’assoir ce surnom.

#883 – Rampla Juniors FC : Ramplenses

Tiré directement de son nom, ce sobriquet sent bon le parfum barcelonais. En effet, les célèbres avenues touristiques du centre de Barcelone se nomment las ramblas. Dérivant d’un mot arabe signifiant « sable, terrain sablonneux », il était utilisé pour désigner un cours d’eau irrégulier. Or, l’avenue barcelonaise fut construite sur un lit de rivière asséché, ce qui donna le nom de rambla. Mais, revenons en au sujet de cet article qui est de découvrir les origines du nom de ce club de Montevideo, qui donna naissance à son surnom.

Le Rampla Juniors débuta son histoire au début du XXème siècle. Sa fondation eut lieu le 7 janvier 1914, dans la ville de Montevideo, dans le quartier des services douaniers du port. Précisément, l’assemblée fondatrice se tint, sur le front portuaire, dans un bar à l’intersection des rues Solís et La Marseillaise. Cette dernière était populairement connu sous le nom de « Rampla », au moins jusqu’en 1909. Au moment de nommer le club, les fondateurs hésitèrent. Leur club devant participer aux championnats de quartiers de la ville, ils prirent le nom de la rue Rampla pour facilement s’identifier par rapport aux autres participants. En outre, ils ajoutèrent le terme anglais « Juniors » (phénomène de mode à l’époque d’avoir un nom anglais, pays d’origine du football). L’idée était d’avoir un nom dont la traduction serait « les jeunes de la Rampla ». Attention, dans le quartier sera construit dans les années 1920 des avenues bordant la côte et qui s’appelleront toutes rambla. La rambla de Montevideo qui s’étire sur plus de 22 km n’a rien à voir avec l’ancienne rampla.

Le club va connaître une croissance rapide puisqu’il attint la première division dès 1922. La saison suivante, il devint vice-champion et en 1927, ce fut la consécration en remportant le titre de champion d’Uruguay (dans un championnat à 20 équipes, qui fut le plus « fréquenté » de l’histoire du football uruguayen). Quelques années auparavant, se sentant à l’étroit dans la vieille ville, près du port, il émigra dans les nouveaux quartiers de l’ouest de Montevideo, à Cerro. Mais, ce déménagement n’effaça pas les origines du club qui conserva son nom.

#882 – Tersana SC : الشواكيش

C’est un terme argotique égyptien qui signifie les marteaux. Fondé en 1921 et basé à Gizeh (dans le quartier de Mit Okba) près du Caire, le club naquit sous le régime du protectorat britannique. Or, l’occupation britannique de l’Égypte depuis 1882 importa le football dans la vallée du Nil, via les expatriés anglais travaillant pour la Compagnie du canal de Suez. La création du club fut donc l’oeuvre d’un anglais, le Major E.W. Slaughter. Initialement basé à Boulaq, un des principaux ports de la capitale égyptienne, le club était destiné au personnel de l’administration maritime et des chantiers navals de ce district. Ainsi, l’ensemble des symboles du club se réfèrent au port et à ses activités. Le nom du club « tersana » est l’équivalent en arabe d’arsenal (parmi les constructeurs navals, certains devaient certainement bâtir des navires militaires). Les couleurs bleu et blanc de son maillot rappellent directement la mer. Enfin, son écusson affiche une ancre, symbole de l’univers marin.

Pour autant, le surnom du club, الشواكيش, ne le relie pas directement au monde maritime. Il existe différentes explications pour ce surnom. La première raconte que ce terme décrivait la rudesse et la force de l’équipe, qui frappait ses adversaires comme un marteau. La deuxième histoire, qui est la plus connue de toute, indique qu’à une époque, Tersana avait recruté dans ses rangs un certain nombre d’anciens fedayins. Dans les années 1940, des nationalistes égyptiens appelés fedayins formaient des petits commandos dont l’objectif étaient d’harceler les troupes britanniques qui défendaient le canal de Suez. Le marteau pouvait donc symboliser leurs actions coup de poing et leurs duretés. Enfin, la dernière version se rapproche des origines du surnom des anglais de West Ham United (cf article #313). Certains des membres initiaux travaillaient sur les chantiers navals de Boulaq. C’était pour la plupart des ouvriers qui travaillaient l’acier pour construire les navires. Le marteau était un symbole qui les représentait bien. Il semble en tout cas que le surnom fut popularisé par les célèbres commentaires sportifs, Abdul Majid Noman, écrivant pour le journal « Al Goumhoria » , et Najib Almstkawi, du quotidien national « Al Ahram » . Ayant attribué des surnoms à la plupart des clubs égyptiens, ils auraient affublé « hammers » à Tersana à la suite d’une intervention rugueuse du défenseur Fouad Gouda, qui provoqua la blessure au pied du joueur adverse, Saleh Selim.

#881 – MC Oran : المولودية

Le mouloudia. Au début du XXème siècle, les clubs sportifs musulmans furent l’un des premiers moyens de rassembler la communauté arabe et d’expression des nationalistes au Maghreb. Après la Seconde Guerre Mondiale, un certain nombre de clubs avait disparu mais l’indépendantisme algérien connut un nouvel élan, suite aux évènements de Sétif le 8 mai 1945. Ainsi, sous l’impulsion des oulémas représentés par Cheïkh Saïd Zemmouchi, cinq nationalistes, Ali Bentouati, Mohamed Bessoul, Boumefraa, Omar Rouane Serrik et Mahmoud Sayah Miloud Bendraou, se réunirent chez le coiffeur Si Ahmed Al Mahaji, dans le quartier El Hamri (à l’époque quartier Lamur), pour fonder le nouveau club de football d’Oran. Le choix du nom était un marqueur identitaire important pour un club nationaliste. Cette réunion de fondation se tint dans la nuit du 14 mai 1946, la veille de l’anniversaire de la naissance du prophète Mahomet, fête connu sous le nom de ليلة أل مولد (laylat al mawlid, veille du mouloud). Le mouloud (المولد – en arabe dialectal mûlûdiyya) est le jour de l’anniversaire de Mahomet, le 12 Rabi-el-aouel (dans le calendrier hégirien). En Algérie, cela constitue une fête centrale de l’année qui dure 7 nuits. Durant ces sept nuits, les écoles sont décorées et des poèmes en l’honneur du prophète (appelés مولدي Mawlidiyya) sont déclamés. En l’appelant Mouloudia, les fondateurs rappelaient le lien du club avec la culture algérienne dont l’Islam était estimé être le socle. Cela attestait d’un geste de déférence envers le prophète mais également une revendication identitaire vis-à-vis des européens de religion chrétienne.

Il est souvent raconté que le MC Oran avait un prédécesseur du nom de Mouloudia Club Musulman Oranais, fondé le 1er janvier 1917. Si cette dernière association a bien existée, l’affiliation entre les deux clubs est contestée. Certains avancent que le MCM Oranais n’avait pas de section sportive et son activité se réduisait à une fanfare. D’autres estiment que ce dernier club n’exista que deux ans et qu’il ne participa jamais à une compétition officielle. Le club présente généralement sa fondation en 1946 même si la tentation d’afficher une filiation avec un club plus ancien est forte.

#880 – SV Ried : die Wikinger

Les vikings. Même s’il est de plus en plus rare de trouver des supporteurs du club se balader avec un casque de viking dans les travées du stade, le club entretient le lien avec ce peuple nordique. Tout d’abord, l’équipe réserve se nomme Junge Wikinger (les jeunes vikings). De plus, depuis la saison 2016-2017, la mascotte nommée Siegfried est un viking. Enfin, le camp d’entrainement réservé aux jeunes de 6 à 13 ans organisé par le club s’appelle Wikinger Kids Camps. Pourtant, l’origine de ce surnom s’est perdu même s’il est de création assez récente. Deux versions se sont répandues pour l’expliquer. Au début des années 1990, suite au Festival Viking organisé dans la ville voisine de Pram (à 10km de Ried im Innkreis), certains supporteurs seraient revenus dans le stade affublés d’un casque de viking. L’autre version se serait déroulée également dans les années 2010 avec deux des joueurs emblématiques du club. D’un côté, Michel Angerschmid qui n’a connu qu’un seul club pendant les 14 ans de sa carrière, le SV Ried. De l’autre côté, le meneur de jeu Herwig Drechsel qui joua pour Ried lors de deux passages (de 1995 à 1998 et surtout de 1999 à 2010). Lors du centenaire du club en 2012, Herwig Drechsel a même été élu « joueur du siècle ». Ces deux piliers du club fréquentaient également un pub de la ville, où ils avaient leur table. Cette dernière était appelée la table des vikings par les propriétaires et les habitués de ce bistrot et l’appellation aurait déteint sur les deux joueurs. Puis sur l’équipe entière.