Le club en plastique. Depuis les années 2000, la géographie des capitaux des clubs de football d’Europe de l’Ouest a été bouleversée. Détenus initialement par les municipalités, des associations d’entrepreneurs locaux ou des mécènes régionaux, certains clubs ont vu déferlé une masse d’argent venus d’abord de l’Est (les oligarques russes comme Roman Abramovitch à Chelsea ou Alicher Ousmanov à Arsenal), d’Orient (Fulham, Leicester City) puis des Etats du Golfe (Qatar à Paris, Abu Dhabi à Manchester City, l’Arabie Saoudite à Newcastle). Enfin, les fonds d’investissements américains ont également pris leur part, avec parfois quelques faillites retentissante (King Street à Bordeaux, Eagle Group à Lyon, Liverpool, Manchester United).
Dans ce paysage, la Bundesliga fait un peu exception car ces nouveaux actionnaires n’ont pas investi en Allemagne (sauf parfois sous la forme de sponsoring), en raison de la règle « 50+1 ». Jusqu’en 1998, les clubs allemands étaient détenus par leurs membres et supporteurs. Lorsque la Fédération allemande permit aux clubs de devenir des sociétés anonymes, la contrepartie fut la mise en place de la règle « 50+1 » qui garantit que les membres du club détiennent toujours la majorité des droits de vote et empêche tout investisseur privé de posséder plus de 49% des parts d’un club. Pour les supporteurs allemands, c’est le gage d’une pureté de leur football. Mais, il y a évidemment des exceptions, qui meurtrissent les fans des clubs traditionnels. Le RB Leipzig représente le totem absolu en la matière.
Le club fut fondé en 2009 par la société de boisson énergisante Red Bull GmbH qui racheta les droits du SSV Markranstädt, association amateur de 5ème division. Les deux clubs historiques de la ville de Leipzig, Chemie et Lokomotiv, n’avaient pas cédé aux sirènes de Red Bull afin de ne pas perdre leurs identités. L’investissement de Red Bull dans le sport répondait à une stratégie marketing d’envergure, afin d’associer sa marque aux exploits sportifs, véhiculant des symboles de force, courage et détermination. En 2012, il était associée à environ 500 athlètes et 600 manifestations sportives et s’investit également dans plusieurs clubs de football (New York Red Bulls, Red Bull Salzbourg, Red Bull Brasil, Red Bull Bragantino, Red Bull Ghana et FC Liefering). La création de Leipzig répondait à cette stratégie, pour la région allemande. Et comme Red Bull le fit pour les autres clubs, il modela cette nouvelle association à son image (nom, couleurs, écusson …), faisant de Leipzig un objet publicitaire à l’effigie de sa boisson. C’était un premier affront pour les défenseurs du football d’antan. En plus, Red Bull contourna avec une certaine arrogance les règles. Tout d’abord, la firme autrichienne détient bien que 49% du capital, mais le solde appartient à des membres du conseil de surveillance de Red Bull à titre personnel. Ensuite, la loi interdit au club d’accoler à leur nom celui d’un sponsor. Or, Red Bull renommait l’ensemble de ses clubs avec sa marque. Résultat, le club fut nommé RB qui signifie … Rasenballsport (qui se traduit par sport de ballon sur gazon) mais le message n’est pas subliminale.
Après les millions investis par Dietrich Mateschitz et sa société, le RB Leipzig est vu comme un club en plastique par les fans des clubs historiques. Un club sans histoire et une menace pour la culture et l’identité du football. Ce n’est pas le seul puisque Volkswagen détient Wolfsburg, Audi avec Ingolstadt et surtout SAP avec Hoffenheim, une ville d’à peine 3 100 habitants mais dont l’équipe joue en Bundesliga dans un stade de 30 000 places. Seulement, Leipzig et Red Bull affichent un tel mépris pour les traditions et valeurs du football allemand qu’il est devenu certainement le club le plus haï outre-Rhin (à l’image de Paris en France).
