#891 – Eintracht Francfort : Schlappekicker

Ce mot est difficilement traduisible et souvent mal interprété. Il réunit le terme Schlappe qui signifie chausson dans le dialecte de Francfort et Kicker, le mot allemand désignant un footballeur. Les joueurs de Francfort seraient donc des footballeurs en pantoufle. Ils dormiraient sur la pelouse ou leur style de jeu serait ronflant ? Difficile à croire quand on connaît son palmarès et ses parcours européens, d’ailleurs encore confirmé hier soir avec la qualification du club au huitième de finale de la Ligue des Champions.

Tout remonte dans les années 1920. L’Eintracht avait une certaine notoriété en remportant une poignée de championnats locaux et régionaux. A cette époque, le club bénéficiait d’un soutien financier important de la société francfortoise J. & C. A. Schneider (JCAS prononcé Ikas), qui fabriquait des pantoufles. Dans le quartier de Gallus, plus de 3 000 ouvriers travaillaient pour JCAS. L’usine était alors l’un des principaux employeurs du quartier et la plus grande entreprise juive de Francfort. Les frères John et Carl August Schneider fondèrent en 1908 la « Frankfurter Spezialfabrik für Babyschuhe » qui fut reprise 3 ans plus tard par les frères Fritz et Lothar Adler. En s’associant avec leur cousin Walter Neumann, au lendemain de la Première Guerre Mondiale, leur société, devenue JCAS, connut une forte croissance, avec des exportations de pantoufles vers l’Angleterre, les Pays-Bas, la Belgique, le Danemark, la Norvège et la Suède. Elle était alors considérée comme la plus grande fabrique de pantoufles au monde et s’appelait simplement Schlappeschneider (les chaussons Schneider) ou Schlappe-Stinnes dans le langage populaire. Cette réussite et puissance financière, Walter Neumann les mit au service du club de sport de l’Eintracht Francfort. JCAS était alors le grand sponsor du club et les dirigeants de la société, les mécènes du club. Outre les dons que faisaient la société au club, elle pourvoyait en emplois les joueurs du club. A l’époque d’un football amateur (où le club ne pouvait pas rémunéré ses joueurs), ces emplois garantis étaient un avantage significatif pour attirer les talents. D’autant plus que ces emplois, sans être fictifs, n’étaient pas pénibles. Il s’agissait de job de bureaux où la présence du collaborateur-footballeur n’était pas indispensables. En revanche, ces employés-footballeurs donnaient tout sur le terrain. Ce soutien conduit rapidement à des résultats probants. En 1930, l’Eintracht remporta pour la première fois le championnat d’Allemagne du Sud. En 1932, ils étaient de nouveau en finale du Championnat d’Allemagne du Sud, où ils bâtirent le Bayern Munich. Le club bavarois prit sa revanche la même année lors de la finale des Championnats d’Allemagne. Sur la feuille de match de cette finale, presque toute l’équipe était sur la liste de paie de Schlappeschneider. Encore 6 joueurs de football du club (Karl Ehmer, Rudolf Gramlich, Willi Lindner, Hugo Mantel, Franz Schütz et Hans Stubb) émergeaient à l’usine vers 1935. Les succès se célébrèrent également dans les autres départements sportifs de l’Eintracht. En plus de 6 records du monde, les athlètes du club remportèrent des médailles olympiques. Par exemple, Tilly Fleischer gagna le bronze à Los Angels en 1932 et l’or au lancer du javelot à Berlin en 1936. L’équipe féminine de handball conquit le championnat d’Allemagne de handball en 1923. Enfin, en 1934, le membre Ernst Winter devint champion du monde à la barre fixe à Budapest. Cette forte collaboration entre l’entreprise et le club était bien connue dans la ville et c’est ainsi que les footballeurs de l’Eintracht ont obtenu le surnom Schlappekicker.

Mais, l’Allemagne bascula dans le nazisme et l’antisémitisme dans les années 1930 et ce soutien par une entreprise juive ne pouvait être bien vu par les autorités. En 1938, l’entreprise fut aryanisée, les 3 dirigeants juifs devant céder leur part. Comme les autres clubs allemands, l’Eintracht suivit le même chemin. Ancien joueur et donc employé de JCAS, Rudolf Gramlich prit la direction du club de 1939 à 1942. Puis, il rejoignit les WaffenSS. L’une des usines du quartier de Gaulus devint un camp de travail, notamment pour les prisonniers du camp de concentration français (Camp de concentration de Natzweiler-Struthof en Alsace). Après la guerre, les frères Adler récupérèrent l’entreprise. Mais, ils ne soutinrent plus le club et vendirent leurs parts en 1954. Pire, Rudolf Gramlich revint à la tête du club entre 1955 et 1969, le club connaissant alors une période dorée. Il fallut attendre 2020 pour que le club destituât Gramlich de son titre posthume de président honoraire en raison de sa participation active au parti nazi et aux SS.

Le terme Schlappekicker a été également repris par une association, soutenue par le quotidien « Frankfurter Rundschau ». Depuis 1951, cette dernière soutient des associations sportives et des initiatives engagées socialement. L’un de ses grands rendez-vous est la fête de noël (Schlappekicker-Weihnachtsfeier), auquel des joueurs de football illustres ont participé. Elle remet également chaque année un prix (Schlappekicker-Preisträger).

#98 – Eintracht Francfort : die Adler

Les aigles. Il s’agit de l’emblème du club qui s’affiche pleinement sur son écusson. Un autre surnom est d’ailleurs, Adlerträger, les porteurs d’aigles. Cette écusson n’a que très peu changé depuis la création du club en 1899. Et ce dernier s’inspire très largement des armes de la ville de Francfort, qui adopta l’aigle impérial du Saint-Empire romain germanique. À partir de 855, la ville de Francfort prit de l’importance puisque les Empereurs germaniques y furent nommés avant d’être couronnés à Aix-la-Chapelle. Au fil du temps, Francfort devint une des plus grandes villes du Saint-Empire romain germanique. En 1372, Francfort accéda au statut de Reichsstadt (ville impériale libre), c’est-à-dire directement subordonnée au Saint-Empereur romain et non à un souverain régional ou à un noble local. Ce fut à cette époque et pour marquer son statut que le Conseil de la ville reprit l’aigle royal couronné des sceaux de l’Empire.

Cette tradition de l’aigle sur les armes d’une ville impériale était largement diffusée au sein du Saint-Empire. Aujourd’hui, les villes d’Aix-la-Chapelle (Allemagne – ville impériale en 1166), de Besançon (France – ville impériale en 1290), Dortmund (Allemagne – ville impériale en 1236), Essen (Allemagne – ville impériale en 1377), Lübeck (Allemagne – ville impériale en 1226), Nimègue (Pays-Bas – ville impériale en 1230), Nördlingen (Allemagne – ville impériale en 1215) ou Reutlingen (Allemagne – ville impériale vers 1240) affichent sur leurs armoiries, généralement un aigle noir sur fond jaune. Ce symbolisme était directement tiré des armes du Saint-Empire romain germanique (d’or, à l’aigle déployé à bec de sable et membré de gueules). Le Saint-Empire était une sorte de confédération de plusieurs Etats et principautés mais n’a jamais constituait un Etat-Nation au sens moderne. Issu de la décomposition de l’Empire de Charlemagne après le traité de Verdun (843), cet ensemble débuta par la réunion de deux divisions de l’Empire carolingien au Xème siècle et s’étendait principalement sur une partie de l’Allemagne et de l’Italie actuelle (jusqu’au XIVème siècle). Ainsi, les dynasties qui régnèrent qualifièrent l’Etat de « Saint » (à compter de 1157) pour exprimer que son monarque était établi par la volonté de dieu et régnait par droit divin. Ensuite, le terme « Romain » apparu vers 1184 (et de façon constante à partir de 1254) établissait un lien direct entre l’ancien Empire Romain (disparu en 476) et le nouvel Etat (qui occupait des régions historiques de l’Empire Romain). D’ailleurs, le monarque du Saint-Empire était titré « Empereur des Romains ». Pour renforcer l’héritage, les armes du Saint-Empire reprit les attributs de Rome dont l’Aigle. L’oiseau à l’époque de l’Empire romain était le protecteur des légions sur le champ de bataille et, selon leur croyance, favorisait les victoires des Romains au combat. Il apparaissait sur l’étendard des légions (aquila). Dès l’antiquité grec, l’aigle, animal favori de Zeus, le Dieu de tous les Dieux, symbolisait la puissance, la victoire et la prospérité. Dans la mythologie romaine, il demeurait attaché au Dieu des Dieux, Jupiter, en étant son messager. Pour le Saint-Empire, les armes d’un aigle noir sur fond jaune devint attestées vers 1250, la « Chronica maiora », un livre historique du moine bénédictin anglais, Matthieu Paris, attribuant un Reichsadler (l’aigle impérial) à deux têtes à l’Empereur Otto IV. Ce symbole, le Reichsadler, a traversé les âges, en étant représenté sur les armes du Saint-Empire, l’Empire Allemand, la République de Weimar, le 3ème Reich et jusqu’à aujourd’hui, la République Fédérale Allemande.